Trois dieux pour un livre !!!
Première de couverture... Le ton est donné ! |
Bonjour à tous,
Juste rentré d’Angleterre, je me suis dit qu’un petit article pour
signer mon retour ne ferait pas de mal. Donc, aujourd’hui, un « petit »
avis littéraire.
Le bouquin dont je vais vous parler ne surprendra pas ceux qui me
connaissent. C’est aussi bien un bijou esthétique que littéraire, en
plus d’être une bonne voire une excellente idée cadeau pour les amoureux des beaux livres.Il s’agit d’une nouvelle édition des Contes Macabres d’ Edgar Allan Poe , magnifiquement illustrée par mon désormais nouveau dieu Benjamin Lacombe et dont la traduction, comme à l’accoutumée, est signée par notre Baudelaire national !
L’auteur d’abord !
E. A. Poe par Lacombe |
Edgar Allan Poe, s’il est encore besoin de la présenter et dont la biographie complète se retrouve sur divers sites internet, est un des plus grands écrivains romantiques américains que la littérature ait connu.
J’ai découvert ce génie littéraire extrêmement tardivement. Lorsque je me suis penché (sans faillir de tomber pour autant) sur l’œuvre poétique de Charles Baudelaire, je me suis donc tourné assez rapidement sur ses œuvres critiques dans lesquelles il nous faisait part de ses impressions sur les écrits de Poe qu’il adorait traduire. Ainsi, je me suis risqué à aller jeter un œil à cet auteur que je méconnaissais bien trop et, au final, j’y ai laissé mes deux yeux.
Poe, américain de nationalité et auteur du XIXème siècle, remplit ses écrits d’une mélancolie que seul un Baudelaire pouvait nous permettre d’approcher. Comme il l’a si bien écrit dans Genèse d’un poème :
« La mélancolie et le plus légitime de tous les tons poétiques ».
Mais en plus de cette mélancolie, une noirceur romantique se répand de manière extrêmement subtile sous sa plume et nous met, nous, lecteur, face à notre for intérieur le plus négatif mais pas forcément le plus mauvais bien qu’il ait pu écrire que
« Le démon du Mal est l’un des instincts premiers du cœur humain ».
Mais parce qu’ il n’y a pas de manichéisme tranché dans la philosophie romantique de Poe, il ne peut donc y avoir dans notre perception une telle séparation aussi simpliste et fausse du Bien d’avec le Mal. D’autant que Poe est tout entier tourné vers l’esthétisme : l’art n’a pas pour but d’enseigner quoi que soit à qui que ce soit mais bien d’être uniquement de l’art, du Beau. C’est pourquoi Baudelaire, proche de Poe dans cette perspective créatrice, s’est livré à traduire ce que son homologue outre atlantique avait si bien fait émerger : une esthétique qui se réalise dans l’unicité d’elle-même, qui se suffit à elle-même et qui n’a comme but que se réaliser elle-même. Tout dans son œuvre s’inscrit dans cette fonction, unique et seule véritable.
Ce qui est assez déroutant tout de même dans son œuvre c’est qu’elle se révèle au premier abord assez hermétique,
ce qui explique certainement le grand intérêt que Mallarmé a pu y
porter. C’est parce que pour être ému, touché par la plume de Poe, il
faut le mériter. Des efforts nous sont demandés. Et de ces efforts naît
une compréhension que nous ne pourrons que savourer, aussi bien dans ce
que l’œuvre raconte, le monde en soi, que les multitudes de subtiles et
délicieuses prouesses lexicales. Poe adore jouer avec les mots, les
multipliant sans cesse et avec un génie d’à propos.
La langue anglaise foisonne d’une polysémie qui n’a rien à envier à la nôtre. Et Baudelaire, lui-même obsédé par
amoureux des mots (comment ne pas l’être lorsqu’on fait profession de
poète ? ) a su de manière à la fois engagée et chirurgicale nous rendre
cette particularité aussi savoureuse que délicate et complexe.
Il ne faut pas non plus oublier que notre auteur américain est à plus d’un titre considéré comme l’un des inventeurs de la nouvelle policière. Et il l’est aussi parce qu’il a su faire preuve d’un esprit d’analyse
à la Sherlock Holmes quand il s’est agi de porter un regard sur les
faits divers de son époque, tous tournés vers des homicides, parvenant
même quelques fois à redonner un souffle nouveau aux enquêtes qui
s’étaient enlisées.
Cet esprit d’analyse, il ne l’exerçait pas seulement sur le domaine criminel ou policier. Il
l’éprouvait aussi sur les écrits de son époque ainsi que sur les
paroles ou actes des hommes engagés en politique, monde dans lequel il
avait espéré évoluer, mais en vain, rejoignant ainsi quelques-uns des
grands écrivains romantiques de son temps, américains ou européens (à la
différence de notre Hugo !) Bref, toutes ces expériences ont forgé en lui tout un imaginaire réaliste et onirique qu’on ne pourrait pas simplifier en quelques mots tant il est extrêmement complexe, fantaisiste et fantastique .
Le traducteur donc !
Charles Baudelaire fut comme Poe un des plus grands écrivains du XIXème siècle. Il était à la fois poète et critique d’art, en plus d’être traducteur. Partageant avec son homologue les mêmes conceptions esthétiques, il n’est pas difficile de comprendre les raisons qui sont à l’origine de ce fabuleux travail de traduction. Une admiration sincère, un talent poétique, une écriture de génie, voilà ce qui définit partiellement Baudelaire vis-à-vis de Poe.
Comment ne pas lire dans son œuvre poétique tout ce qui fait de
l’homme l’essence-même de l’imperceptible, du changement, de la
variabilité ? Baudelaire a su mettre en mots l’indescriptible, l’évanescence, l’impalpable
! L’homme, pour lui, n’est qu’un enchevêtrement de sensations,
changeantes et insaisissables, porteur d’un symbole puissant, celui de
n’être au final qu’un animal imparfait soumis à la démesure et au désir
d’être parfait. Tout comme Poe, il critique cette démesure destructrice et y préfère la fantaisie créatrice.
L’auteur des Fleurs du Mal, à l’instar de l’auteur du Corbeau, a bien moins marqué son temps que la postérité. Une mélancolie
s’exprime sans cesse et il ne faut pas être dans un état dépressif pour
lire son œuvre, sinon au prix d’une plus grande descente aux enfers.
L’optimisme n’est pas au rendez-vous, et pour que l’art soit Beau, il lui faut passer par ce qu’il y a de plus trouble, de plus lugubre et de plus indicible : la noirceur, le Mal et le summum, pour Baudelaire, l’Ennui, c’est-à-dire ce Spleen qui est commun à toute l’humanité et que chacun d’entre nous a vécu au moins une fois.
L’optimisme n’est pas au rendez-vous, et pour que l’art soit Beau, il lui faut passer par ce qu’il y a de plus trouble, de plus lugubre et de plus indicible : la noirceur, le Mal et le summum, pour Baudelaire, l’Ennui, c’est-à-dire ce Spleen qui est commun à toute l’humanité et que chacun d’entre nous a vécu au moins une fois.
Les Contes Macabres, qu’est-ce que c’est ?
Dans cette nouvelle édition, que j’ai trouvée chez France Loisirs, on retrouve huit contes plus ou moins connus de Poe :- Bérénice
- Le Chat noir
- L’Île de la fée
- Le Cœur révélateur
- La Chute de la maison Usher
- Le Portrait ovale
- Morella
- Ligeia
En plus des contes, en début d’ouvrage, on nous donne la Dédicace à Maria Clemm, belle-mère de Poe et mère de Virginia, cousine et épouse d’Edgar. Baudelaire signe ces vers traduits :
« A la mère enthousiaste et dévouéeA celle pour qui le poèteA écrit ces vers ».
Les Contes…
Je ne ferai pas le résumé de tous les
contes présents mais seulement de ceux qui sont, à mon avis, les plus
symptomatiques de l’esthétique de Poe.
Bérénice :
Cette courte nouvelle marque un pas dans l’horreur littéraire et fut très controversée à l’époque de sa publication.
L’histoire tourne autour de l’obsession
d’un homme, Egaeus, pour les dents de sa bien-aimée et cousine, seule
partie saine de son corps. Egaeus sombre dans un état d’esprit
monomaniaque, restant de longues heures à fixer le vide et à laissant
ses pensées divaguer, à tel point, qu’il perd pied avec la réalité. La
fin nous raconte la prise de conscience du personnage qui s’aperçoit
qu’il a commis des choses atroces.
Le Chat noir :
Cette nouvelle raconte l’histoire étrange
d’un homme amoureux des animaux et qui, devenu alcoolique, passe un soir
ses nerfs sur son chat noir en le mutilant. Ce dernier meurt par la
suite et le narrateur, après l’incendie « accidentel » de sa maison
trouve dans une taverne un autre chat similaire au premier. Il le ramène
dans sa nouvelle maison et prend de plus en plus en grief ce nouvel
animal domestique. La nouvelle se termine, après le meurtre de l’épouse,
par d’étranges faits sur lesquels le narrateur ne peut agir et dont
l’origine serait semble-t-il ce nouveau chat envers lequel le
protagoniste ressent de la peur.
Le Cœur révélateur :
Cette nouvelle aussi est à cataloguer dans les histoires d’horreur. Elle nous raconte la terreur que le narrateur ressent vis-à-vis du vieil homme avec lequel il vit, terreur liée à cet « œil de vautour » que ce dernier possède. Cette terreur l’entraîne dans un cycle ritualisé nocturne qui aboutit, au bout de huit nuitées, au meurtre et dépeçage de la victime. Le cri poussé par la victime est entendu par un voisin qui alerte la police. Trois officiers viennent enquêter. La fin est réellement surprenante.
La Chute de la maison Usher :
Le Cœur révélateur :
Cette nouvelle aussi est à cataloguer dans les histoires d’horreur. Elle nous raconte la terreur que le narrateur ressent vis-à-vis du vieil homme avec lequel il vit, terreur liée à cet « œil de vautour » que ce dernier possède. Cette terreur l’entraîne dans un cycle ritualisé nocturne qui aboutit, au bout de huit nuitées, au meurtre et dépeçage de la victime. Le cri poussé par la victime est entendu par un voisin qui alerte la police. Trois officiers viennent enquêter. La fin est réellement surprenante.
La Chute de la maison Usher :
Il s’agit d’une nouvelle fantastique au
sens littéraire du terme. Le narrateur visite son ami Usher et sa sœur
Madeline qui meurt peu de temps après. Roderick Usher prétend alors que
la maison est douée de sens causée par la disposition des murs,
canalisations et plantes qui encerclent cette demeure. On apprend par la
suite en même temps que le narrateur que la sœur a été enterrée vivante
et, dans un effroi impalpable, cette dernière surgit ensanglantée dans
la nuit aux deux jeunes gens. La narrateur prend la fuite et voit la
maison fissurée s’écrouler.
L’ensemble des contes et nouvelles de cet ouvrage est titré Contes Macabres pour la simple raison qu’il est toujours question de meurtre, de mort et de la mise en action du côté le plus sombre de l’homme.
Le livre fait plus de 200 pages et est tout entier de noir vêtu avec un soupçon de rouge : deux couleurs qui nous semblent très à propos par rapport aux histoires narrées.
Son prix est tout de même de plus de 25 euros. Mais, il les vaut ! Vraiment !
Les illustrations superbes et sublimes sont signées par Benjamin Lacombe. Bon, avant d’acheter ce livre, je n’avais jamais entendu parler de cet illustrateur.
Lacombe par lui-même |
Je reprends là la bio qui nous est offerte à la page 216 du livre :
« Auteur et illustrateur français né à Paris le 12 juillet 1982. En 2001, il entre à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs de Paris (ENSAD), où il suit sa formation artistique. Parallèlement à ses études, il travaille en publicité et dans l’animation et signe à 19 ans sa première bande dessinée et quelques livres illustrés.Son projet de fin d’études, Cerise Griotte , dont il est l’auteur et l’illustrateur, devient son premier livre jeunesse et sort aux éditions Seuil Jeunesse en mars 2006. Il est publié l’année suivante par Walker Books (USA) et est nommé par le prestigieux hebdomadaire Time Magazine comme l’un des 10 meilleurs livres jeunesse de l’année 2007 aux Etats-Unis.
Depuis, Benjamin Lacombe a écrit et illustré de nombreux livres. Ses livres ont été traduits en une dizaine de langues comme Généalogie d’une sorcière , la Mélodie des tuyaux , Il était une fois , Blanche Neige ou encore Les Contes Macabres …(…)
Benjamin expose régulièrement son travail. (…) Benjamin vit et travaille à Paris. »
Les dessins et illustrations sont très beaux, bien faits et leurs
traits sont magnifiquement exécutés. Les couleurs tournent
principalement autour des gris, rouges et noirs. Et ils représentent
tous un personnage ou une scène des divers contes.
Cette
représentation nous permet de rentrer plus profondément dans cette
ambiance macabre et la symbolique mythologico-religieuse saupoudrée
de-ci de-là nous entraîne dans ce monde fantaisiste, effrayant et
fantastique que crée Poe dans son écriture et magnifiquement traduit par
Baudelaire.
L’ouvrage est magnifique autant par les textes rassemblés que par les illustrations. Ou comment joindre le passé et le moderne !
Achetez-le et lisez-le, il vaut vraiment le coup !
Nico.
Lô
Laurent - Officieusement 28 ans mais officiellement 34 - Région parisienne - Beau, intelligent et modeste
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Cool… J’adore Poe, j’ai les Histoires Extraordinaires et les Nouvelles Histoires Extraordinaires en poche, je m’en délecte… Ces Contes Macabres, je les ai lus et adorés, mais bizarrement : oubliés ! Cette version me fera l’occasion d’enfin les avoir, et d’avoir mon 1er Benjamin Lacombe ! La semaine passé, Monlolo m’a offert le « Alice au Pays des Merveilles » illustré par Rebecca Dautremer. Les albums, une excellente version de redécouvrir ses classiques !
RépondreSupprimer(PS : vive Baudelaire !!!)
A rajouter dans ma wishlist ! Et j’aime beaucoup les changements de look qu’il y a eu par ici ! C’est plus facile pour la lecture !
RépondreSupprimerCe n’est pas le seul qu’il te faut rajouter… Tout Lacombe doit l’être ! Sinon, oui, Laurent s’est défoncé pour le relooking…
SupprimerTiens, on dirait que des coms ont disparu durant le relooking ;-)
RépondreSupprimerJe passais pour dire que N°2 a été ravi de recevoir ce livre en cadeau d'anniversaire et que je remercie Nico pour cette revue sans laquelle je serais passée à côté d'une occasion de faire un vrai plaisir surprise :-)
Oui, le changement de plateforme a eu cet inconvénient de supprimer quelques commentaires de ci de là. Quant au remerciement, je t'en prie ! C'est tellement facile de faire plaisir avec de tels livres !
SupprimerBonne fin de week end.
Nico.
J'adore la couv, une belle idée cadeau pour les amateurs !
RépondreSupprimerBel article, très complet, pour un bouquin magnifique !
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